Paris, le 11 juillet 2015
« Un contrôle stigmatisant et criminalisant »
- Écrit par HUMANITE.FR – KAREEN JANSELME
Plusieurs militants de mouvements de précaires et chômeurs et de syndicats n’ont pu empêcher la tenue du comité central d’établissement de Pôle Emploi entérinant la généralisation du contrôle des chômeurs dès le mois d’août.
Après les Boers anti-uber, voici les Boers anti-chômeurs : à partir du mois d’août, 200 agents de Pôle Emploi feront la chasse aux chômeurs à temps plein. Le dernier comité central d’entreprise consacré au projet de généralisation du contrôle de la recherche d’emploi s’est bien tenu hier, malgré la mobilisation de militants au petit matin devant le siège de Pôle Emploi. « Les CRS sont venus et nous ont dégagé » témoigne Isabelle Rajao, conseillère Pôle Emploi et militante de Sud ayant répondue présente à l’appel partagé par les mouvements de précaires et chômeurs (AC ! agir ensemble contre le chômage, l’Apeis, le mouvement national des chômeurs et précaires, la coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France) et des syndicats (Sud Culture, Sud Emploi, Snu Pôle Emploi).
Le CCE a donc fini par s’ouvrir sous haute protection pour pouvoir définitivement entériner la décision du conseil d’administration de Pôle Emploi de redéployer 200 agents à temps plein pour contrôler « tous les demandeurs d’emploi ». « Cela fait 1600 heures par jour consacrées uniquement à l’épluchage de fichiers, déplore Jean-Charles Steyger, délégué syndical de SNU-Pôle Emploi. Comme cette mesure, tout converge pour faire baisser les chiffres du chômage. » Le syndicaliste s’inquiète du dévoiement de la mission d’accompagnement des agents alors qu’ils sont déjà en nombre insuffisant non pas pour surveiller les mauvais chômeurs mais pour les orienter et les aider pour leur retour à l’emploi. « D’après la cour des comptes, sur les 53 000 agents de Pôle Emploi, 38 000 seulement sont en contact direct avec le public. Si on retire les cadres et les agents administratifs, et ceux qui gèrent les droits, cela ne concerne plus que 21 000 agents. Il n’y a donc plus que 21 000 agents en accompagnement direct », reprend le syndicaliste qui s’inquiète de l’industrialisation des contrôles. Or une surveillance existe déjà, puisque 13 409 personnes ont été radiées en 2014 pour « insuffisance de recherche d’emploi ». « Il y a une logique informatique qui a été repensée pour aboutir à ce contrôle, déplore-t-il. Toute l’activité, les contacts, les relations entre le conseiller et le demandeur d’emploi sont tracées, c’est redoutable ! ».
« Du marketing pour en faire des non-chômeurs »
Associations et syndicats dénoncent un « contrôle stigmatisant et criminalisant » pour les chômeurs. « J’ai reçu un message pour ouvrir un compte sur Pôle Emploi et mettre mon CV en ligne, raconte Christophe, de la coordination des précaires d’Ile-de-France. J’y ai précisé que je cherchais un CDI dans l’édition. Quinze jours après, je recevais un message qui signalait que je n’avais reçu aucune offre et que je devais revoir mes paramètres… » Devra-t-il se chercher un nouveau métier ? Une situation qui pourra désormais être évaluée, voir jugée, par les agents contrôleurs de façon graduée. Avec une première radiation de quinze jours en cas « d’absence d’actes positifs et répétés de recherche d’emploi ». « C’est quoi une recherche inactive d’emploi ? s’offusque Pierre-Edouard Magnan du Mouvement national des chômeurs et précaires. Si une « possible insuffisance de recherche d’emploi » (IRE) est observée, un questionnaire sera envoyé au demandeur d’emploi. « C’est du marketing pour en faire des non-chômeurs, reprend Pierre-Edouard Magnan. On veut berner le demandeur d’emploi. » Parmis les questions posées : un QCM sur différentes fourchettes de nombre de CV envoyés, de candidatures effectuées, si le demandeur a des contraintes géographiques et si oui de quelle nature… Et tout cela sans contact direct avec un conseiller, qui puisse l’aider à répondre, à interpréter les questions. Celui-ci en effet ne sera pas du tout en relation avec le contrôleur. Et cela inquiète aussi les conseillers : « La personne va se retourner contre son conseiller, alerte Jacqueline Balsan du MNCP, puisque le contrôleur n’aura jamais de contact physique avec le chômeur. » D’ailleurs la direction elle-même de Pôle Emploi y a pensé… Dans son document présenté au CCE, elle précise « la sécurité au travail des conseillers en charge du dispositif de contrôle mais plus largement de tous les agents en contact avec le public fera l’objet d’une attention soutenue dans le cadre du projet par des actions de prévention ». Une précision qui ne rassure pas syndicats et associations qui préféreraient un accompagnement à visage humain, une prise en charge plus adaptée et non des processus informatiques démultipliés et la fermeture des accueils au public. Car en effet dès septembre, Pôle Emploi a décidé d’une autre nouveauté : réduire de quinze heures les ouvertures de ces sites au public, libre et gratuit. Les portes ne seront plus ouvertes que vingt heures par semaine.
KAREEN JANSELME