22 septembre – Paris
La grande inégalité des chômeurs face à Pôle emploi
Article du journal « le MONDE » du 21 septembre 2013 par Jérémie BARUCH, Jean-Baptiste CHASTAND et Alexandre LECHENET
Que vous soyez chômeur à L’Ile-Rousse, en Haute-Corse, ou à Douai, dans le Nord, vous ne serez pas reçu de la même manière à Pôle emploi. Les données locales détaillées, publiées pour la première fois par l’organisme le vendredi 20 septembre, faisant suite à la demande du Monde, montrent à quel point le nombre de conseillers est inéquitablement réparti sur le territoire.
Lire aussi : Une bataille de six mois pour obtenir des données jugées sensibles
Au 1er septembre, à Douai, chaque conseiller suivait en moyenne 192 chômeurs, contre seulement 32 à L’Ile-Rousse.
La moyenne nationale est de 116 chômeurs par conseiller, mais l’écart varie de un à sept selon les agences. Ces chiffres ne comprennent que les chômeurs qui font l’objet d’un suivi effectif. Ils ne tiennent pas non plus compte d’éventuels conseillers en temps partiel, Pôle emploi n’ayant pas souhaité fournir de données ajustées. Mais ils n’en restent pas moins un bon indicateur de la charge de travail des 1 000 agences que compte la France.
- De considérables différences régionales
Les disparités entre régions vont du simple au double. En Picardie, la moyenne est ainsi de 150,2 chômeurs par conseiller, contre 66 en Corse. Le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine, malgré leurs taux de chômage élevés, affichent respectivement 136,4 et 127 chômeurs par conseiller. A l’opposé, en Basse-Normandie et en Midi-Pyrénées, deux régions au taux de chômage inférieur à la moyenne nationale, chaque conseiller suit moins de 100 chômeurs.
Selon les données fournies par Pôle emploi, la région qui dispose du moins de moyens par chômeur est La Réunion. Mais comme l’organisme n’a pas été en mesure de donner des chiffres pour la Guadeloupe et la Martinique, nous avons décidé de nous concentrer sur la métropole. Les départements les moins bien lotis sont alors l’Aisne, la Creuse et la Somme. Les mieux dotés sont les deux départements corses et l’Orne.
Les cinquante agences qui disposent du moins de moyens sont situées dans des communes du quart nord de la France (Picardie et Nord-Pas-de-Calais) ou des territoires en difficulté, comme Marseille, Beauvais, Cambrai ou Vierzon. Des agences situées en zones urbaines sensibles comme à Cenon, dans l’agglomération de Bordeaux, ou à Bron, près de Lyon, affichent aussi un nombre de chômeurs par conseiller qui grimpe au-delà des 150. A l’inverse, plusieurs agences en Corse, ou en centre-ville de grandes agglomérations comme Toulouse, Lyon ou Nantes, font partie des agences avec le moins de chômeurs par conseiller.
- L’Ile-de-France très inégalitaire
L’Ile-de-France a la particularité de compter à la fois des agences parmi les plus chargées du pays et celles parmi les mieux dotées. La géographie des inégalités franciliennes respecte presque parfaitement celle des différences économiques. Les agences de Saint-Denis, Tremblay-en-France, Sevran, Bobigny, La Courneuve, situées en zones urbaines sensibles en Seine-Saint-Denis, affichent toutes plus de 160 chômeurs par conseiller. La Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne se classent d’ailleurs parmi les vingt départements les moins pourvus.
A l’opposé, dans six agences situées dans des arrondissements parisiens favorisés et des villes aisées comme Versailles ou Rambouillet, les conseillers n’ont pas plus de 80 chômeurs à suivre, soit deux fois moins ! Paris affiche le 10e meilleur chiffre national. Si quelques territoires en difficulté, comme Les Ulis ou Trappes, font partie des agences favorisées, il apparaît globalement que la logique de Pôle emploi qui est « de faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin » est loin d’être applicable en Ile-de-france.
Consulter les données chiffrées agence par agence : Quel portefeuille pour les conseillers dans votre agence Pôle emploi ?
- Des inégalités en voie de correction
L’organisme ne nie pas les disparités territoriales et promet que les 2 000 CDI supplémentaires attribués au printemps par le gouvernement permettront justement de les résorber. « Par exemple, la Picardie, qui représente 3,5 % des demandeurs d’emploi en portefeuille, a bénéficié de 5,5 % des renforts », affirme Pôle emploi.
L’agence de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), parmi les moins favorisées, devrait bientôt profiter de 5 postes supplémentaires. Pour l’instant, seuls 35 % des 2 000 renforts sont opérationnels. Par ailleurs, la convention collective empêche quasiment toute mobilité forcée. Comme pour tous les organismes publics, il est plus facile de trouver des agents volontaires pour travailler dans le Sud-Est que dans le Nord ou dans les quartiers difficiles.
- 6 % des chômeurs en « suivi renforcé »
Pôle emploi a par ailleurs publié des chiffres sur les modalités de suivi des chômeurs. Depuis janvier, l’organisme a choisi de différencier son suivi en fonction des difficultés des demandeurs d’emploi. Ces derniers sont désormais classés en trois catégories, selon leur éloignement du marché du travail. Pôle emploi affirme qu’un peu plus de 130 000 chômeurs, soit 6 % de ceux suivis par l’organisme, bénéficient d’un suivi renforcé, avec des conseillers qui ne s’occupent pas de plus de 70 chômeurs. 55 % des chômeurs ont un suivi guidé avec en moyenne 105 demandeurs d’emploi par conseiller. Le reste des chômeurs, normalement les plus autonomes, peuvent être suivis par des conseillers qui encadrent jusqu’à 350 chômeurs.
Mais ces chiffres sont fondés sur les seuls chômeurs « en portefeuille », soit 2371000 personnes, près d’un million de personnes en moins que les chiffres officiels du chômage. En tout, Pôle emploi a exclu de cette étude près de 2,3 millions de personnes inscrites dans ses listes, mais actuellement en formation, en contrat aidé ou inscrites depuis moins de quatre mois. En incluant ces chômeurs, la moyenne de demandeurs d’emploi par conseiller grimpe à 230 et il n’est pas rare de voir sur le terrain des conseillers avec plus de 500 chômeurs à suivre.