Projet de loi « Travail » un leurre dangereux, mortifère et vain

BE.
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Paris, le 1er juin 2016

Article pour la revue L’École Émancipée par le

SYNDICAT NATIONAL UNITAIRE TRAVAIL EMPLOI FORMATION ECONOMIE

        LE PROJET DE LOI « TRAVAIL » :

UN LEURRE DANGEREUX, MORTIFERE ET VAIN

 

Le projet initial qui prétendait réécrire le Code du Travail pour « donner plus de place à la négociation collective et simplifier le droit et son accès » est vite apparu comme un archétype de contre-réforme, ajoutant à l’inversion de la hiérarchie des normes, des chapitres détruisant des pans entiers des garanties légales des salariés. Très vite, la jeunesse et des syndicats (UNEF, CGT, FO, FSU et Solidaires) ont initié la plus importante mobilisation de ces dernières années. S’y ajoutent les rassemblements de Nuit Debout qui émergent sur l’ensemble du territoire et des débats parlementaires qui peinent à trouver une majorité. Tous ces éléments  illustrent bien l’enjeu que représente ce projet de loi tant au niveau politique que social.

 

Pourquoi les évolutions du projet de loi n’éteignent-ils pas l’incendie social ? D’une part, parce qu’elles ne touchent pas à sa philosophie fondamentale, la primauté donnée à la négociation d’entreprise sur la négociation de branche et sur la loi et que, d’autre part, elles laissent quasiment intactes les attaques concrètes comme la facilitation des licenciements économiques ou la remise en cause de la médecine du travail. Par ailleurs, l’instrumentalisation de la négociation collective reste bien visible. Et qu’enfin, les mesures présentées comme étant de nouveaux droits peinent à convaincre.

 

Les évolutions « cosmétiques » du texte

Depuis sa création, et renforcé en 1936 avec le principe de faveur, le Code du Travail est, par nature, un droit protecteur des salariés en situation de  subordination. Il ne pouvait être qu’amélioré par les conventions de branche, les accords d’entreprise ne pouvaient contenir que des règles plus favorables que celles des conventions de branche et le contrat de travail ne pouvait lui aussi qu’ajouter des droits par rapport à l’accord d’entreprise. Cette hiérarchie est inversée.

Le lieu d’élaboration du droit deviendrait l’entreprise, où le déséquilibre entre les employeurs et les salariés est le plus grand. Ensuite les accords de branche compléteraient le dispositif. Enfin la loi, se résumerait à des principes d’ordre public réduits et, en cas d’absence d’accord, une « voiture balai » de dispositions supplétives reprendrait à peine le minimum des dispositions protectrices actuelles. Des salarié-es en position de faiblesse, un droit atomisé et l’inégalité de traitement deviendront la règle dans des entreprises d’une même branche. La course au « moins-disant social » sera exacerbée et pèsera dans la concurrence économique. En guise de simplification on aboutira à un inextricable écheveau dans lequel les salariés auront des difficultés croissantes à savoir précisément quels sont leurs droits. Les inégalités consécutives à la taille des entreprises, à la présence

 

ou pas de délégués syndicaux et autres représentants du personnel seront accrues. La division entre les salariés sera maximale.

Si les évolutions du texte ont atténué cette primauté de l’accord d’entreprise sur certains sujets, le principe reste intact. Ainsi, l’exemple très significatif des heures supplémentaires. Actuellement, au-delà de la durée légale hebdomadaire de 35 h , le travail coûte plus cher à l’employeur : majorations des heures supplémentaires calculée sur la durée d’une semaine. Demain la majoration pourra  être abaissée de 25 % à 10 % par simple accord d’entreprise (conditionné par la branche actuellement)  favorisant le dumping social entre entreprises d’une même branche. De même, le calcul de la durée hebdomadaire moyenne du travail sur une période de référence supérieure à la semaine, voire même allant jusqu’à 3 ans, sera facilité.

 

 

Faciliter les licenciements économiques

Imposées par Macron et inspirées par les avocats conseils des grandes entreprises ces dispositions sur le licenciement économique, figent la jurisprudence, en évoquant la « sauvegarde de la compétitivité » qui peut recouvrir n’importe quoi et en particulier la sauvegarde des dividendes des actionnaires par des suppressions d’emplois, ou des difficultés économiques attestées par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant un certain nombre de trimestres qui sont modulés selon la taille de l’entreprise : de 1 à 4 trimestre(s).  Pour les groupes multinationaux, l’appréciation des difficultés économiques s’en tiendra à celles des entreprises du groupe établies en France, une aubaine pour ceux qui externalisent leurs résultats. Seul bémol à ce cadeau : les difficultés économiques artificiellement créées ne peuvent constituer une cause de licenciement. Encore faudra-t-il le prouver !

 

 

Médecine du travail : l’agonie !

La mesure phare c’est la suppression des visites d’embauche, remplacées par une visite d’information et de prévention par un personnel de santé autre que  le médecin du travail.

S’y ajoute la suppression du recours devant l’inspecteur du travail en cas de désaccord avec le médecin du travail, sans recours ni d’intervention du médecin inspecteur du travail remplacé par un « expert » éloigné des pathologies spécifiques aux conditions de travail de l’entreprise.

On fait d’une pierre trois coups ! On règle les difficultés de charge de travail et de manque d’effectifs des inspecteurs du travail, des médecins inspecteurs du travail et des médecins du travail, tout en éloignant de l’entreprise l’appréciation du problème médical. On limite ainsi le lien entre la pathologie et son caractère professionnel et on limite la responsabilité de l’entreprise… sans parler du Conseil des prud’hommes, déjà surbooké, qui aura la compétence sur ces litiges. Alors qu’un alignement par le bas de la prévention et de la médecine du travail est à l’oeuvre autant dans le privé que dans le public, qui peut prétendre que ce sera une avancée pour les salariés ?

 

 

Négociation collective piégée

La négociation collective d’entreprise est instrumentalisée pour faciliter des reculs sociaux. Ainsi, la condition pour les organisations syndicales signataires de représenter non plus 30 % mais 50 % du personnel pour valider un accord est contournée par le recours possible à un referendum. Ce camouflet à la représentativité est toujours dans le texte. La signature

 

d’accords en vue de « la préservation ou du développement de l’emploi » ouvre aussi la porte à tous les débordements car il n’est plus nécessaire que l’entreprise connaisse de graves difficultés économiques conjoncturelles, comme c’est le cas aujourd’hui pour les accords « défensifs ». Ces accords signés (uniquement par les syndicats majoritaires a-t-il été concédé ! ) s’imposeront aux salariés et primeront sur les clauses contraires de leur contrat de travail.  Il s’agit d’un chantage à l’emploi car le refus du salarié peut entrainer son licenciement individuel, justifié par avance, et prononcé selon la procédure du licenciement économique.

 

 

De « nouveaux droits » ?

Le gouvernement et les syndicats « réformistes » évoquent un projet équilibré grâce à des nouveaux droits pour les jeunes et les travailleurs. Or la généralisation de la Garantie Jeunes (sorte de RSA pour les jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation)  date de début 2016 : ni une nouveauté, ni une solution pour l’ensemble des jeunes. Elle suppose aussi que les Missions locales soient en capacité d’attirer et d’absorber de nouveaux contingents de public.

Avec le Compte personnel d’activité (CPA), on est loin de la revendication syndicale d’une sécurité sociale professionnelle. Ce dispositif est marqué de nombreuses tares originelles : quasiment rien de neuf par rapport aux comptes formation et pénibilité existants, dilution des responsabilités des employeurs vis-à-vis de la formation et d’autres aspects de la vie professionnelle,  absence de financement dans le texte ou par le patronat,  logique  d’accompagnement de la précarisation des statuts.

La prise en compte par le droit du travail de l’ère du numérique est bien pâle, voire contre-productive. Ainsi, le droit à la déconnexion  des salariés se limite à un sujet de la négociation obligatoire sans autre cadre.

S’agissant des chauffeurs « Uber », aujourd’hui, dans un flou juridique, il n’est dit nulle part que leur relation de travail doit être considérée comme du salariat. On laisse entendre qu’il y aurait un troisième statut entre celui de salarié et celui de travailleur indépendant, sans évoquer les statuts particuliers de salariés (VRP, travailleurs à domicile…)

 

Ce projet est le leurre d’un dialogue social instrumentalisé pour faire régresser les garanties des salariés.  C’est aussi un leurre pour la simplification du droit, puisque la réécriture, envisagée du Code, va le complexifier et accroitre les incertitudes d’application. Enfin les prétendus droits nouveaux sont aussi des leurres : pas si nouveaux, et tellement embryonnaires. Ce qui n’est pas un leurre c’est la régression générale et systématique des règles protectrices des salariés.

Quoiqu’il en soit, cette démarche est mortifère et vaine. Mortifère car le gouvernement n’ira jamais assez loin dans la course au moins-disant social. Les organisations patronales demandent toujours plus (ou plutôt toujours moins de règles) sans pour autant s’engager à quoi que ce soit. Ce faisant, le gouvernent détricote consciencieusement un siècle et demi de conquêtes sociales et légifère contre les salarié-es et les jeunes qui aspirent à le devenir.

Démarche vaine, enfin, car cette régression sociale, la plus violente depuis plusieurs décennies, accroîtra la pauvreté et les inégalités et menacera les travailleurs, sans combattre le chômage.

 

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